Raymonde
Howard – S.W.E.A.T.
(We
Are Unique / Specific)
(French article written by Thomas Walgraffe, English version soon to come!)
Le 4ème
album de Raymonde Howard nous est arrivé en pleine face, une bonne
gifle bien cinglante et inattendue... Mais c'est parce qu'on a tendu
l'autre joue... en fait, plus les albums passent, plus on en
redemande. Depuis le 1er album, self-titled, handmade,
sorti sous le micro label Angry Ballerina (on y reviendra), en
septembre 2006, on est addict à ce blues tendu, minimal, ces boucles
obsédantes, ces textes tantôt drôles, tantôt émouvants, mais
toujours engagés. Car il est là, le parti-pris de Laetitia
Fournier, l'engagement. Total, sans équivoque et sans compromis.
Signée sur
deux labels que nous affectionnons particulièrement, à savoir We Are Unique Records (Angil, Le Flegmatic, ichliebelove...) et
Specific Recordings (Culture Rejects), Raymonde Howard nous
propose avec S.W.E.A.T une épopée-flash, un mini-manifeste
du punk DIY, mais surtout, elle confirme ce que beaucoup d'entre nous
savaient déjà (pour les autres, vous le saurez dorénavant) :
Laetitia Fournier est une figure majeure du rock français.
Yeah! J'ai la collec'! |
Si
vous en doutez encore, plongez dans cet album sans attendre! Le
message est clair avec Release the Evil qui ouvre l'opus : ça
va piquer, mais tu vas en redemander! Sous des airs faussement pop,
Raymonde Howard assène le
premier titre dans un rythme effréné, zig-zague
entre l'enfer et le paradis, et pose les principes de son art, le
rock brut et loopé. On pense un peu à The Naked Line qui
ouvrait son 2ème album For All The Bruises, Black
Eyes and Peas et qui avait aussi ce rôle directeur, et une fois
les présentations faites, on est comme à la maison, et Raymonde
devient ta BFF.
S'enchaînent
alors une dizaine de titres tous aussi riches les uns que les autres.
Car si la musique de Laetitia est minimaliste, elle n'en est pas pour
autant simpliste. Penekini Kill prête à rire, car Raymonde
Howard a bien raison, le penekini est le point de non-retour de la mode et ses excès! Et par la même occasion, Laetitia nous rappelle
dans un riff bien agressif qu'elle est la descendante directe de
Bikini Kill et réduit les attributs masculins chers au rock'n'roll à
un ridicule bout de tissu... pour ne pas dire à néant. Angry
Ballerina (clippé par Franck Gimenez) mélange deux champs
sémantiques a priori contradictoires, la danse classique et la
guerre. Mais ce n'est qu'un a priori, la ballerine est en colère, et
prête à en découdre, le poing américain sous son gant de soie...
C'est exactement ce que le projet solo de Laetitia est depuis le
début, et ce n'est pas un hasard si, pour sortir son premier album
sur Cdr, elle a créé le micro-label du même nom... La loop est
bouclée!
Avec No
Waves, No Bricks, No Walls, No Pass-Arounds, on accélère encore
un peu plus, et Raymonde Howard nous embarque pour une virée
nocturne en bagnole, et celle-ci s'emballe, et c'est sans détour
qu'on arrive à destination, non sans égratignures...
Le jour se
lève ensuite, comme une renaissance, avec Crumbs of the Awakening
et la voix cristalline de Laetitia. Voilà une autre facette de
l'artiste, cet art subtil de l'harmonie, cet arpeggio à peine
saturé, et le chant très précis qui se complètent à merveille,
nous entrainant dans une sorte de comptine, une ritournelle infinie,
comme le cycle du papillon, éphémère mais éternel... Si ici les
insectes possèdent des armes, dans Terrortits c'est l'artiste
qui EST l'arme, et on pense forcément aux Pussy Riot ou à FEMEN, et
le morceau devient alors un emblème du féminisme, mais pas
uniquement, c'est plus largement un hymne au combat pour la liberté,
quel que soit notre genre, quelles que soient nos croyances. Ce n'est
pas par hasard que ce titre se place au centre de l'album...
Ebony
Submarine est un titre fort mystérieux, où il est question de
brume, de rendez-vous avec des fantômes, de labyrinthe... et le
tempo assez lent impose une atmosphère moite, marécageuse et
sombre, et le superbe violon de Jean-Christophe Lacroix ajoute une
dimension onirique à ce trip au but incertain. Le violoniste
intervient sur ce titre ainsi que sur Terrortits et ce sont
les seuls arrangements présents sur l'album, ce qui tranche
évidemment avec la production beaucoup plus enrichie du précédent
album Le Lit.
Harsh
Love, récemment mis en image par Jean-Antoine Raveyre, met en
parallèle l'idée de voyage et celle de l'expérience de l'amour,
cet itinéraire côte-à-côte, les errements à deux, ces moments si
diffciles, si douloureux mais qui sont incontournables et
indispensables à l'accomplissement du couple. Il s'agit du titre le
plus long (2:47!) de l'album, le plus pop en quelque sorte, avec ce
petit côté "love song" qui pourrait sembler très
conventionnel sans ce "I do love you when it hurts me so
hard" à double-tranchant... Raymonde Howard sait très bien
s'approprier les codes et les biaiser juste assez pour nous faire
douter...
Staring
at the Moon fait partie de ces chansons "raymondehowardesques"
typiques de son style si particulier. On pense à The Sculptress
par exemple. Une petite rengaine aigüe, sautillante, puis un
riff plus rock qui intervient sans prendre de pincettes, et nous
voilà cueillis!
La fin
(déjà?) de l'album est marquée par deux titres très différents
l'un de l'autre : Hands Shine With Stains est
sombre et sérieux, tandis que Punktuality
est léger, comme une blague lancée à la fin d'une conversation
grave pour détendre l'atmosphère. Hands Shine With
Stains fait mal, est sale et
nous hante, avec ce riff de 2 notes très inspiré métal (oui,
oui!), et ce texte scandé et chanté, à la limite de l'incantation
satanique! Un pur bijou du rock, sans hésitation!
Puis
vient la
blague, le clown qui sort de la boîte, le texte en français un peu
salace, mais juste ce qu'il faut, et la preuve que Laetitia Fournier
ne se prend pas au sérieux, en tout cas, qu'elle sait prendre la
distance nécessaire à tout artiste qui se respecte! Attention,
Punktuality n'en reste
pas moins un très bon morceau, disco-punk, entêtant à souhait, et
ce n'est d'ailleurs pas la 1ère fois que Laetitia propose ce genre
de titre, non? Punktuality
est un pied de nez au même titre que l'est Great Minds Are Alike, qu'elle a longtemps eu
pour habitude de jouer en fin de concert... Pour mémoire, le sample
de base est la voix de Laetitia qui chantonne "fuck
you" et le "thank
you" final de l'artiste se
mélange avec une injonction bien plus dérangeante... ou excitante,
selon les goûts.
S.W.E.A.T.
est une pure merveille donc, un album multi-facettes, qui témoigne
de l'engagement total de Laetitia dans ce projet qui a déjà plus de
10 ans! Car oui, Laetitia Fournier est une bosseuse, qui ne laisse
rien au hasard : chaque note compte, chaque mot est pesé, les
artworks sont réfléchis (les jambes, le torse, le visage...), et
le tout donne une discographie riche et innovante, majeure et
inspirante. Reste un mystère... que peut bien signifier cet
acronyme, S.W.E.A.T. ?
Ah! Au fait, allez faire un tour sur le bandcamp We Are The 28th, vous y
trouverez des versions démos de la plupart des titres de l'album,
mais aussi des dizaines de morceaux d'artistes différents comme
L'Homme Debout, Le Flegmatic, ThOmas.W, Dimanche Cafard, Robert Zaza,
Pasca, Face de Loutre...
"Chemicals in Need" (First album)
"Stay with me" (For All The Bruises, Black Eyes and Peas)
"Of Flesh and Bonds" (Le Lit)
"Harsh Love" (S.W.E.A.T.)
BONUS! Angil and The Hiddentracks feat. Raymonde Howard "Lipograms"